Les achats publics à l'assaut de l'innovation
Publié par Charles Cohen le - mis à jour à
Placé au coeur des politiques publiques de soutien à l'innovation, l'achat public est sommé de se réinventer de A à Z. Alors que la toute récente réforme de la commande publique consacre un tel bouleversement, encore faut-il que les acheteurs publics prennent la mesure d'un tel changement. Décryptage.
"Partout en France, dans tous les secteurs, il faut mobiliser l'achat public de produits d'entreprises innovantes." Cette formule prononcée par Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, lors de ses voeux à la French Tech, le 29 janvier 2016, résume parfaitement le challenge de taille auquel les acheteurs publics sont désormais confrontés: faire enfin de la commande publique un levier-clé d'innovation!
De nombreuses mesures gouvernementales ont été prises pour favoriser une telle révolution des achats publics: objectif, fixé par le Pacte national pour la croissance, de 2% de la commande publique de l'État auprès d'entreprises innovantes d'ici à 2020; circulaire de 2013 du Premier ministre confirmant un tel objectif; création en 2014 du premier guide pratique de l'achat public innovant, etc. Mais dans les faits, force est de constater qu'un tel changement culturel est loin d'être une mince affaire. "Alors que le secteur public a longtemps été perçu, semble-t-il, comme moins mature que le privé en termes de professionnalisation achats, on demande aujourd'hui aux acheteurs publics d'exceller plus encore que leurs homologues des grands comptes en matière d'innovation fournisseurs", rappelle Sébastien Taupiac, directeur délégué aux offres complexes à l'Ugap, la centrale d'achat public.
Un paradoxe qui réside dans la mission d'intérêt général de la commande publique placée de facto au coeur des politiques de l'État en matière d'innovation, "quand des acheteurs du privé - moins contraints en la matière - jouent parfois librement la carte du cost killing, se privant ainsi du potentiel de PME innovantes", souligne Sébastien Taupiac.
Partenariat innovation
S'il y a un domaine où l'achat public est voué à monter en puissance, c'est sans aucun doute celui de l'innovation
On l'aura compris, s'il y a un domaine où l'achat public est voué à monter en puissance, c'est sans aucun doute celui de l'innovation. Preuve en est avec la toute fraîche réforme de la commande publique qui entend booster l'innovation fournisseurs en modernisant et simplifiant le code des marchés publics "et ce, pour doper l'accès des PME à de tels marchés dont elles sont traditionnellement mises à l'écart", lance Arnaud Salomon, directeur du cabinet CKS Consulting.
La preuve en chiffres: en 2013, les PME n'ont été attributaires que de 27% des contrats publics en valeur. D'où un foisonnement de règles pour en découdre avec cette triste réalité comme la généralisation de l'allotissement, la dématérialisation totale des procédures d'ici à 2018 après la création du marché public simplifié, ou encore la possibilité de négocier au-delà des seuils et de lancer des marchés sans procédure jusqu'à 25 000€. Sans oublier une dernière mesure, et pas des moindres: le lancement du partenariat innovation.
Le principe d'une telle procédure? "Permettre aux acheteurs publics de mettre en place un partenariat de long terme et structuré avec des entreprises couvrant à la fois la phase de R&D et l'achat des produits, services ou travaux innovants, sans procéder à une nouvelle mise en concurrence à chaque étape du développement de l'objet du marché", souligne Jean-Marie Héron, membre de l'Association des acheteurs publics (AAP). À une condition toutefois: "que le résultat des recherches corresponde aux niveaux de performance et aux coûts maximums convenus avec l'acheteur", indique Thomas Rouveyran, avocat au cabinet Seban & associés.
La procédure a été bien pensée. "Elle offre la garantie au partenaire innovant de pouvoir vendre sa solution au client public sans risquer que le développement soit confié à un autre concurrent plus compétitif", résume Yves-René Guillou, avocat associé du cabinet Earth Avocats qui a encadré l'un des tout premiers partenariats d'innovation de France, établi entre UniHA et la PME ATH Medical (voir encadré ci-dessous).
Seul bémol: "Nombre de projets innovants en France ont tout simplement déjà absorbé les fruits de leurs travaux de recherche. De quoi les exclure d'une telle procédure qui pourrait d'abord privilégier les projets d'envergure partant d'une feuille blanche et portés notamment par des grands comptes capables de les mener de A à Z", estime Arnaud Salomon, pour qui "il serait préférable de préciser la notion même de commande publique innovante en l'associant à des objectifs chiffrés et ambitieux de recours aux PME, principales sources d'innovation en France". Ce serait un indicateur fiable et opposable qui faciliterait le déploiement d'une politique ad hoc d'achats innovants. "Au-delà de son aspect novateur, le partenariat d'innovation n'est donc pas la panacée, aussi bien au regard de son champ étroit d'application que de son caractère complexe. La procédure est, pour l'heure, très peu utilisée par les acheteurs publics", développe Arnaud Salomon.
[Témoignage] Geoffrey Broninx, dirigeant d'ATH Medical
"Un partenariat avec UniHA pour tester notre prototype en milieu hospitalier"
"Sans l'accompagnement d'UniHA, nous n'aurions jamais développé notre innovation dans d'aussi bonnes conditions", confie Geoffrey Broninx, dirigeant de la start-up ATH Medical créée en 2011, qui propose des systèmes de traçabilité et de management de l'activité chirurgicale. Une collaboration entre les deux acteurs qui démarre en 2014 lorsque la jeune pousse présente son offre dans le cadre d'une journée innovation organisée par le réseau d'achats hospitaliers.
Séduit par le système d'ATH Medical, UniHA décide d'accompagner l'entreprise dans le cadre d'un partenariat innovation. L'objectif: assister celle-ci dans le développement d'un système de traçabilité des instruments propre à la pose d'implants et reposant sur un protocole très strict. "Ainsi, nous avons pu évaluer notre prototype en milieu hospitalier en le testant dans un établissement "pilote": le CHRU de Lille." De quoi permettre à la start-up d'affiner son produit en s'appuyant sur différents retours utilisateurs, sans oublier la réalisation d'une étude scientifique passant au crible les résultats obtenus. "Grâce à une avance remboursable de 25 000€ accordée par UniHA, nous avons pu embaucher pendant six mois une infirmière expérimentée pour coordonner le projet de A à Z", se réjouit le dirigeant, largement satisfait de voir aujourd'hui son innovation référencée dans le catalogue de la centrale. Si bien qu'il a convenu avec UniHA que l'avance - désormais remboursée - profite d'ici la fin de l'année à une autre start-up.
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